La Presse+, par Sylvie St-Jacques
4 janvier 2018
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ART THÉRAPIE - GUÉRIR AU MUSÉE
Un matin de novembre, au Centre de services de justice réparatrice (CSJR), dans le quartier Villeray, se retrouvent autour d’une table ronde la directrice Estelle Drouvin, l’art-thérapeute Stephen Legari, Julianne, une participante aux ateliers d’art-thérapie du MBAM, et la journaliste de La Presse.
« Être validée, être entendue, cela compte beaucoup pour ma guérison. Quand je participe aux ateliers, je me sens accueillie, pas banalisée. C’est merveilleux, le processus que l’on vit en art-thérapie : on partage, on apprend à se connaître, c’est surprenant, ce qui sort de là », témoigne Julianne. Sans entrer dans les détails de son traumatisme, elle communique la douleur causée par des blessures qui la marquent, mais ne la dominent plus complètement.
LES COUCHES D’UNE VIE
Quelques jours plus tard, lors d’une visite guidée de la vaste section du MBAM consacrée aux 12 projets d’art-thérapie du musée, Stephen Ligari nous entraîne dans la salle qui accueille Julianne et les autres « artistes en résidence » de ce projet.
Grande table, tiroirs remplis de matériaux, espace pour créer au sol, corde à linge pour déployer les œuvres… Tout est en place pour convier la créativité enfouie sous les blessures.
« C’est formidable, je peux faire un peu de tout : il y a de la peinture, des crayons, du papier, je peux aussi faire de la couture », précise Julianne qui, chaque mois, ajoute son nom à la liste des personnes inscrites aux ateliers du Centre de services de justice réparatrice.
« À un moment donné, j’ai voulu faire quelque chose avec mes doigts : j’ai trouvé de la gouache, des gants. Je peinturais avec mes doigts, je voyais que ça faisait remonter des choses. »
— Julianne, artiste en résidence au Centre de services de justice réparatrice
« À la toute fin, j’ai regardé mon dessin et j’ai pensé à une blessure que j’ai eue aux côtes : le dessin parlait de prendre soin de moi, avec douceur. Ç’a donné une œuvre qui s’appelle Quelques couches de ma vie », dit-elle.
UN CERCLE POUR SORTIR DE LA VIOLENCE
Au CSJR, un contexte bienveillant est mis en place pour aider les gens à sortir de la violence et à s’exprimer sur les agressions qu’ils ont vécues.
« Cela peut être tous les styles de violence, physique ou psychologique, de la violence conjugale, des abus de toutes sortes. Les gens savent que dans ce cercle, ils seront accueillis dans ce qu’ils ont à partager de difficile, douloureux et traumatique », indique Estelle Drouvin.
En ces lendemains de #MoiAussi, Estelle Drouvin insiste sur l’importance pour les victimes d’être entendues, reconnues par d’autres êtres humains, au-delà des réseaux sociaux.
En 16 ans d’existence, le Centre de services de justice réparatrice a toujours consacré une place importante à l’art, à travers une démarche d’intervention fondée sur la réconciliation détenus-victimes, qui s’inspire des traditions autochtones.
« En travaillant avec des gens qui ont vécu des abus dans l’enfance, on s’est rendu compte que pour plusieurs personnes, il est plus facile de s’exprimer à travers le dessin. On voyait qu’au-delà de nos rencontres, plusieurs anciens participants se mettaient à tricoter, dessiner, faire de la peinture ou de la photo. »
— Estelle Drouvin, du Centre de services de justice réparatrice
La directrice du CSJR évoque également la nécessité de défaire quelques mythes et fausses perceptions sur la justice réparatrice.
« L’un des mythes est d’associer la justice réparatrice avec le pardon. Ce qu’on fait, c’est d’offrir un espace sécuritaire pour rétablir la confiance brisée par le crime ou la violence. Ce dont on rend compte, au fur et à mesure du chemin, c’est que le pardon est un effet, même s’il n’est pas un but en soi. »
L’ART POUR RENAÎTRE
Art-thérapeute employé à temps plein au MBAM, Stephen Legari est très investi dans sa mission de lier son amour de l’art à son engagement envers les humains qu’il accompagne. Quand le MBAM a ouvert son atelier d’art-thérapie, Stephen a indiqué qu’il rêvait d’ateliers réguliers qui seraient ouverts sur le monde communautaire. Son souhait a été exaucé : depuis juillet dernier, une entente a été signée pour recevoir chaque mois des groupes au musée.
« Mon travail, comme art-thérapeute, c’est de maintenir le cercle, d’être conscient que chaque espace est chargé, sacré. Ce travail exige une présence, une ouverture, et le moins de préjugés possible », explique le thérapeute, qui souligne qu’il y a une sagesse, une intuition, dans le choix des matériaux des participants aux ateliers.
« Pourquoi l’argile ? Pourquoi le papier et non la toile ? Chaque personne fait un choix de ce dont elle a besoin, ce jour-là », dit-il.
Dans une optique d’inclusion sociale, les ateliers mensuels du CSJR invitent des personnes de tous les âges, de toutes les cultures et de tous les milieux socio-économiques. « On a besoin de nos aînés, ce sont nos sages. Et pour moi, ce n’est pas compliqué : tous les êtres humains sont des créateurs, des artistes. »
De beaux secrets oubliés, des rêves enfouis après avoir été trop souvent trahis : les ateliers du MBAM permettent à Julianne d’apprendre à se connaître, à faire confiance aux gens, et d’espérer vivre quelque chose de beau. « Quand je suis arrivée dans les ateliers, j’étais toute petite, moi ! Depuis, je ne cesse de guérir… »
ART-THÉRAPIE - LA COMMUNAUTÉ AU MUSÉE
« Quand je parle avec mes collègues art-thérapeutes qui travaillent dans des musées en France, en Angleterre ou aux États-Unis, je me trouve chanceux : il n’existe nulle part dans le monde de programme aussi audacieux que le nôtre. Je voudrais que l’on prenne nos idées et qu’on les applique ailleurs », s’enthousiasme Stephen Ligari lors d’une visite guidée de l’Atelier international d’éducation et d’art-thérapie Michel de la Chenelière du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). Avec 12 ateliers d’art-thérapie, une « Ruche d’art » ouverte au grand public deux fois par semaine (sans diagnostic ni références requises) et des collaborations actives avec des universités pour des projets de recherche scientifique, le MBAM est à l’avant-garde de la jonction entre le monde de la santé et celui des sciences humaines. Tout au long de notre visite, au cours de laquelle nous sillonnons les salles animées comme les coins plus paisibles du musée, Stephen Legari parle des visites dirigées qu’il réalise avec l’organisme Montréal autochtone, nous présente les œuvres de quelques artistes qui fréquentent la Ruche d’art, souligne l’apport philanthropique de la Fondation de la famille Rossy au programme d’art-thérapie et mieux-être du musée. « Si l’on considère l’histoire de l’art, on se rappelle qu’autrefois, il n’existait pas de séparation entre le monde des arts et celui des sciences », indique Stephen Ligari.
— Sylvie St-Jacques, collaboration spéciale